Une découverte scientifique qui paraît contre-intuitive. Jusqu'ici, l'eau en bouteille a toujours été synonyme de pureté, caractéristique clef qui oriente bien souvent les consommateurs vers l'acte d'achat. Si la qualité de l'eau n'est pas, dans les faits, remise en cause, une étude sortie début janvier dans la prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) vient nuancer les choses. Et ce, avec des preuves inédites.
D'après les conclusions de cette recherche, l'eau des bouteilles en plastique contient jusqu'à 100 fois plus de nano-particules de plastique que ce qui avait été mesuré jusqu'alors. En moyenne, l'étude a ainsi détecté 240.000 fragments de plastique par litre d'eau, « soit cent à mille fois plus que précédemment rapporté ». 90 % des particules identifiées dans les bouteilles sont donc des nano-plastiques (en dessous de 1 micromètre), le solde étant des microplastiques (entre 1 micromètre et 5 millimètres).
Toutes les marques de bouteille concernées
Pour obtenir ces résultats, les auteurs de ce travail ont testé les bouteilles de trois marques connues, mais dont les noms n'ont pas été dévoilés. Un choix qui vise à ne pas stigmatiser des entreprises en particulier, les chercheurs estimant que les nano-plastiques sont présents dans la plupart des contenants similaires chez d'autres marques.
Ces données sont inédites, car jusqu'ici, les recherches n'étaient pas allées jusqu'à ce niveau de détail. En effet, « les méthodes de mesure ne pouvaient détecter des particules de plastique en dessous du micromètre. Cette étude ouvre la voie à de nouveaux horizons en la matière, il faut s'en réjouir », souligne ainsi auprès de La Tribune Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inrae) et spécialiste en toxicologie alimentaire des microplastiques. Pour parvenir à leur fin, les auteurs de l'étude ont utilisé un microscope innovant doté de lasers, couplé à plusieurs algorithmes informatiques spécifiques de détection.
Les filtres utilisés par les embouteilleurs suspectés
D'où viennent ces nanoplastiques ? Si pour les auteurs de l'étude, la réponse à cette question n'est pas ferme, la typologie de plastique identifiée révèle des indices. Le nylon, un polyamide souvent utilisé dans l'industrie textile, est le plastique le plus présent. Selon les auteurs, celui-ci proviendrait des membranes utilisées par les embouteilleurs pour purifier l'eau. Vient derrière, le polytéréphtalate d'éthylène ou plus communément appelé PET. Cette matière est utilisée dans la majeure partie des cas par les fabricants de bouteille plastique.
Sous la neige, le plastique...
Les échantillons relevés montrent également la présence de nanoparticules de PVC et de polystyrène, avec cette caractéristique particulière : plus leur dimension diminue, plus ces types de plastique sont abondants. Une donnée qui induirait une contamination avant la mise en bouteille de l'eau, et donc une provenance du plastique dans l'environnement au sens large. Pour renforcer la pertinence de leur travail, les chercheurs envisagent d'analyser l'eau du robinet, dont on sait déjà qu'elle contient des microplastiques.
Les conséquences sur la santé de plus en plus étudiées
Toute la pertinence de cette recherche réside aussi dans les conséquences potentielles que ces fragments de plastiques ont sur la santé. D'autant que la science sait déjà qu'une fois ingérés, des éléments de si petites tailles arrivent à passer les barrières biologiques naturelles du corps humain, s'infiltrant dans la circulation sanguine, et in fine, dans les organes.
Sur cette question, l'étude des chercheurs de Columbia ne fournit aucune information, son objet de recherche étant limité à la détection. En dehors, la recherche sur les conséquences sanitaires du plastique n'étant qu'à ses débuts, il existe peu d'études épidémiologiques sur le sujet. Ce que confirme Muriel Mercier-Bonin de l'Inrae.
Quoiqu'il en soit, quelques travaux sortis ces dernières années commencent à documenter certains effets nocifs des particules de plastiques sur le métabolisme, le matériel génétique, le développement cérébral et le système reproductif d'animaux.
Des premiers effets nocifs sur la flore intestinale
L'équipe de recherche dirigée par l'experte de l'Inrae travaille d'ailleurs activement sur la question. En 2023, une de ses études a ainsi confirmé en laboratoire les effets négatifs de microparticules de plastiques sur la flore intestinale. Pour reproduire l'écosystème intestinal d'un être humain, l'équipe de l'Inrae a fabriqué un bioréacteur, une sorte de colon artificiel, et y a introduit des selles d'adultes et d'enfants, soit en d'autres termes, des microbiotes intestinaux. Ces éléments organiques ont ensuite été mis quotidiennement en contact avec des microplastiques de polyéthylène.
Le résultat est résumé par la scientifique de l'Inrae : « On a constaté des altérations de la composition du microbiote. Notamment dans la moindre production de molécules bénéfiques à celui-ci. Des bactéries potentiellement pathogènes ont dans le même temps augmenté. »
Traité sur la pollution plastique : de nouvelles négociations décisives au Kenya
La chercheuse, qui prévoit de lancer une nouvelle expérimentation avec des souris de laboratoire, tient néanmoins à souligner : « Il y a de nombreux facteurs qui jouent dans les effets sanitaires du plastique : l'âge, le régime alimentaire, le niveau de stress de l'être vivant étudié, la dose d'exposition, etc. C'est la raison pour laquelle il faut y aller pas à pas et ne pas tirer de conclusions trop vite. Le temps de la science n'est pas le temps médiatique ».
Selon une étude de l'OCDE parue en 2022, qui fait office de référence, l'humanité a plus que doublé en 20 ans sa production de plastique, pour atteindre 460 millions de tonnes par an. En 1950, ce chiffre n'était que de 1,5 million. Autre chiffre à retenir, environ 19 % des plastiques sont incinérés, près de 50 % finissent en décharge, 22 % sont abandonnés dans la nature, et seulement 9 % sont recyclés. Conscient de l'omniprésence du plastique dans l'ensemble des usages et dans l'environnement global (terres et océans), l'ONU a décidé de s'attaquer au problème. En mars 2022 une résolution historique prévoit de négocier, d'ici fin 2024, un traité mondial de lutte contre la pollution plastique. Celui-ci devrait être juridiquement contraignant, une modalité vers laquelle poussent de nombreuses ONG. Sans surprise, le secteur pétrolier (pourvoyeur de la matière première pour fabriquer le plastique), mais les industriels de la chimie, montrent des réticences. Leur crainte : la perte d'une manne financière conséquente.Une production mondiale de plastique gargantuesque
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